Mais qu’est-ce que c'est donc un Noir ?

Rencontre avec la psychanalyste Jeanne Wiltord à la BU du campus de Schoelcher vendredi 8 novembre

Vendredi 8 novembre, de 16h30 à 18h30, la BU du campus de Schoelcher vous invite à venir écouter l'intervention de Jeanne Wiltord autour de son ouvrage qui vient de paraître : Mais qu’est-ce que c'est donc un Noir ?,  publié aux Éditions des crépuscules (2019)

Jeanne Wiltord propose une approche psychanalytique de la colonisation des Antilles françaises et de son impact sur la construction psychique des individus : perversion de la symbolique du langage, refoulement de la jouissance, racialisation de la société, entre autres.

Née en Martinique, Jeanne Wiltord est psychiatre et psychanalyste à Paris. Elle est membre de l'Association lacanienne internationale. Ses travaux de recherche portent sur les questions de la langue créole aux Antilles, la colonisation et ses effets psychologiques ainsi que sur le racisme et les dynamiques post-coloniales.

La rencontre sera animée par Justin Daniel, professeur de science politique, directeur du Laboratoire caribéen des sciences sociales (LC2S), avec la participation de Maria Briand Montplaisir, psychanalyste, présidente de l’Association lacanienne des Antilles. L'évènement est organisée en partenariat avec le LC2S.

Pour accompagner la réflexion et les échanges, la BU vous propose ci-dessous quelques références bibliographiques.

 

Entrée libre et gratuite, venez nombreux !

 

A lire, voir et écouter

 

CAIRN – Revues en SHS (abonnés UA)

Chalaye, Sylvie. « Noir », « nègre », « homme de couleur »... ces mots réducteurs de tête, Africultures, vol. 92-93, no. 2, 2013,

Le sujet de cette réflexion concerne ce que l’on pourrait définir comme la sauvagerie des mots. On reconnaît aujourd’hui combien le cannibalisme de la colonisation est sans doute plus authentique que celui des mangeurs d’homme et que les mots du colonisateur peuvent être finalement de redoutables « réducteurs de tête », d’autant plus redoutables d’ailleurs que leur entreprise de réduction est curieusement réciproque : ils réduisent l’être de celui qu’ils nomment, mais l’effet de rétrécissement gagne aussi l’esprit de ceux qui les emploient.

 

Mbembe Achille, « Le Noir n'existe pas plus que le Blanc », Africultures, 2013/2 (n° 92-93), p. 24-30

Le terme « culture noire » prête à confusion, et pas simplement pour des raisons liées à l’idéologie républicaine française. La pensée pharaonique africaine a beau affirmer que les Égyptiens anciens s’étaient donné le nom de « Noirs », Frantz Fanon n’en a pas moins largement raison, qui suggérait que le Noir était une invention de Blancs. L’on devrait ajouter qu’à son tour le Blanc est, à plusieurs égards, une fantaisie de l’imagination européenne que l’Occident s’est efforcé de naturaliser et d’universaliser. Le même Fanon disait d’ailleurs, à propos des deux figures, que le Noir n’existe pas, pas plus que le Blanc.

 

Delbraccio Mireille, "La Psychologie de la colonisation" d’Octave Mannoni. Dépendance, reconnaissance, altérité, L'information psychiatrique, 2015/3 (Volume 91), p. 263-270

Malgré les critiques sévères qui ont été adressées à son livre, Mannoni s’inscrit de toute évidence dans la perspective d’une critique radicale du colonialisme, ne serait-ce que parce que le titre de son livre déplace déjà la problématique de ses articles parus dans Psyché en rompant avec l’idée d’une psychologie « coloniale » pour s’attacher à l’analyse du « phénomène » de la colonisation. Pourtant, sa réception a donné lieu à de violentes controverses et à des avis très négatifs. Le livre est en effet très mal reçu par les intellectuels engagés dans le combat anticolonialiste des années cinquante, et son auteur se trouve quasiment renvoyé au pire à l’idéologie coloniale, au mieux à une posture caractérisée par l’ambiguïté.

 

Moustache Honoré, Psychiatrie occidentale et traditions antillaises. Les difficultés de l'élaboration diagnostique, L'Autre, 2002/3

Psychothérapeute d’origine antillaise, après plusieurs années d’exercice dans la région parisienne, j’ai travaillé au centre hospitalier Monteran en Guadeloupe, profitant de ma clinique pour alimenter une recherche commencée dans le cadre d’étude doctorale en anthropologie. Dans ce contexte multiculturel et pluriethnique particulier, historiquement marqué par la traite, le commerce des esclaves et la colonisation, le corps dans ce qu’il a de palpable représente l’un des vecteurs de la symptomatologie psychiatrique locale. Avec mes collaborateurs, nos débats s’éternisaient lors de l’élaboration de diagnostics pour certaines psychopathologies se rapportant dans les grandes lignes au tableau clinique de l’hystérie. Il faut signaler que le corps médical aux Antilles est majoritairement composé de Métropolitains, formés à la pensée psychiatrique française classique.

 

Wiltord Jeanne, Les DOM : une chance (perdue) de parole ?, La revue lacanienne, 2009/2 (n° 4), p. 66-71.

Pour certains, articuler le malaise social actuel [2009] à l’histoire coloniale qui a eu lieu il y a plusieurs siècles ne ferait que réactiver des conflits passés et faire revenir dans le présent des revendications d’un autre temps : « À force de parler d’une chose, on la fait exister. » Ce pouvoir magique attribué à la parole peut éclairer l’analyse de ce qui, faute de n’avoir pu se dire, ne cesse d’insister sans arriver à se constituer comme passé. Les conversations les plus banales sont très souvent l’occasion de références aux différences de couleur de la peau et les échanges vite passionnels font entendre des questions restées en souffrance. Nous avons engagé, depuis plusieurs années en Martinique, avec des psychanalystes de l’Association lacanienne internationale un travail sur ce malaise repérable au niveau du lien social comme au niveau de modalités subjectives dont la fréquence est significative. Prenons garde de considérer ce malaise comme exotique.

 

Maurice Bloch, La psychanalyse au secours du colonialisme , Terrain [En ligne], 28 | mars 1997, mis en ligne le 07 mars 2011

Ce livre [La psychologie de la colonisation] doit l'essentiel de sa notoriété à un élément de la construction théorique montée par Mannoni : sa fameuse notion de « complexe de dépendance », à laquelle on a souvent fait référence et qui a été fort discutée dans la littérature psychologique et psychanalytique. (Une autre raison du succès du livre, auprès des spécialistes de ces deux disciplines, est la relation que son auteur a entretenue avec le psychanalyste Lacan et l'influence supposée qu'il aurait exercée sur ce dernier.)

 

Le trauma colonial, ce passé qui ne passe pas ,  Entretien avec Karima Lazali, réalisé par Chayma Drira, Vacarme, vol. 88, no. 3, 2019

-Comment expliquez-vous qu’il existe peu de travaux sur les effets psychiques de la colonisation et de la guerre d’Algérie, notamment si l’on compare avec d’autres traumatismes historiques tels que les génocides arménien et juif ?

-Je pense que cela fait partie de la colonialité comme système d’effacement et de mise à blanc des responsabilités. Le système colonial est une des expériences inaugurales du capitalisme moderne instituant la marchandisation de l’humain. L’absence de travaux sur les effets du colonial est absolument saisissante, et paraît à la mesure du blanc institué par le politique sur la colonialité. La question coloniale ne peut être traitée et abordée que si elle est reconnue par le politique. Or, elle est sans cesse mise hors débat afin que jamais ne se dévoile l’épineuse question de la responsabilité du politique républicain dans son traitement de l’humain hors de ses frontières métropolitaines.

 

Melman Charles, Lacan aux Antilles. Entretiens psychanalytiques à Fort-de-France . ERES, « Poche - Psychanalyse », 2014, 288 pages.

En 1988, à ma deuxième tentative de faire retour en Martinique, je n’ignorais pas la nécessité de donner des outils adéquats à une pratique de la psychanalyse en Martinique. L’enjeu, de taille, était que la psychanalyse ne trouve pas aux Antilles une place confortable parmi les savoirs habituellement importés dans les sociétés post-coloniales. C’est dire qu’il s’agissait d’ouvrir le chantier délicat, lourd de charges idéologique et passionnelle, des conséquences subjectives complexes de la colonisation esclavagiste et racialisée qui a donné naissance et structuré ces sociétés du xvii e au xix e siècle, et qui dans les départements d’outre-mer ne peuvent se dissocier de celles de l’assimilation. (Préface de J. Wiltord)

 

Manioc – Bibliothèque numérique Caraïbe-Amazonie

Des conséquences psychologiques de l'esclavage. Vidéo. Conférence, bibliothèque universitaire de Martinique, 6 décembre 2016, Université des Antilles

Interventions de Aimé Charles-Nicolas et Gilbert Pago

Rappelant que les conditions n'ont pas été les mêmes d'une terre d'esclavage à l'autre, A. Charles-Nicolas, analyse le rôle de la transmission transgénérationnelle et oriente sa démarche autour des interrogations suivantes: « Y a-t-il des dénominateurs communs aux psychismes façonnés par l'esclavage ? Quels mécanismes conduisent de l'esclavage au racisme ? Quel impact l'esclavage a-t-il eu sur la représentation du Noir actuelle et sur les relations sociales dans la Caraïbe, en Europe, aux Etats-Unis, au Brésil et en Afrique ? »...

 

France culture

Des Colonies (1/5). Rendre visible. Émission Matière à penser, 28.10.2019. Frantz Fanon disait des colonies qu’elles étaient des « lieux d’épouvante ». On n’a pas voulu le voir, mais aujourd’hui, les fantômes reviennent, et la décolonisation est une affaire en cours. Avec Anne Lafont, historienne de l'art et directrice d'études à l'EHESS.

Mobiliser Fanon. Émission La grande table, 15.02.217. Les invités de l’émission, Roberto Beneduce, médecin, psychiatre et anthropologue et Simona Taliani, psychologue et anthropologue, ont tous deux collaboré au numéro 143 de la revue Politique Africaine consacré à Frantz Fanon.

 

HAL – Archives ouvertes (CNRS)

Olivier Dehoorne, Sopheap Theng. Osez « décoloniser l’esprit » : Rencontre autour de l’œuvre de Ngugi wa Thiong’o. Etudes Caribéennes, Université des Antilles, 2011, Le tourisme de croisière : territorialisation, construction des lieux et enjeux de développement,

L’objectif de cet article est de proposer les bases d’une réflexion ouverte sur les ressorts de la colonisation à travers la démarche littéraire proposée par Ngugi. Dans le prolongement de sa réflexion, il s’agit de rappeler que les rapports colonisé-colonisateur (Memmi) sont fortement ancrés dans nos logiques et raisonnements ordinaires du quotidien. Et, paradoxalement, alors que le terme de colonisation semble évoquer dans nos consciences un lointain passé, révolu – l’un des dossiers clos de l’histoire -, les guerres de type colonial et les processus de recolonialisation se précipitent en ce début de XXIème siècle. Haro sur les ressources du continent africain et qu’on chasse au plus vite -sous moult habillages- les dirigeants les moins conciliants! La colonisation est un processus d’exploitation politico-économique qui nécessite de contrôler les esprits, du colonisé comme du colonisateur.

 

Mathinées lacaniennes

Traumatisme, colonisation et topologie, texte de Jeanne Wiltord. Intervention aux journées sur la topologie, Association lacanienne internationale, Paris, 23 Juin 2012

Je vous propose mes interrogations et mon hypothèse à propos des questions complexes que pose cette modalité de nomination fondée sur une distorsion des lois symboliques du langage et de la parole. Les mots « noir » et « blanc »  y ont en effet perdu leur qualité de signifiant pour devenir des signes désignant des êtres parlants, « les Noirs » et « les Blancs ».  Aux Blancs, les colons, a été attribuée une valeur phallique imaginaire, quant aux Noirs, tous transbordés de pays d’Afrique subsaharienne, privés de leurs supports symboliques  et dont la couleur de la peau était devenu le stigmate de leur condition esclave, ils se sont trouvés mis en position de rebut.