La culture et la mission de l'artiste chez Jacques Stephen Alexis
À l’occasion du centenaire de la naissance de l’écrivain haïtien Jacques Stephen Alexis (1922-1961), la BU du campus de Schœlcher accueillera vendredi 27 mai, de 16h à 18h, une conférence d'Odonel Pierre-Louis intitulée :
« La culture et la mission de l’artiste chez Jacques Stephen Alexis »
Odonel Pierre-Louis est docteur en philosophie et enseignant-chercheur à l’Université d’État d’Haïti (UEH). Il est aussi responsable du Département de Philosophie de l’ENS de l’UEH et membre du laboratoire Langages, Discours et REPrésentations (LADIREP).
"La culture trouve une importance capitale aux yeux de Jacques Stephen Alexis. Il la définit, dans « Du réalisme merveilleux des Haïtiens », comme une communauté de psychisme et historiquement formée, « une communauté résultant d’un héritage psychique et s’extériorisant par des œuvres de beauté et de raison ». Elle serait donc un fait social total, pour parler à la manière de Mauss, en ce sens qu’aucune dimension de la vie d’un peuple — « pris dans sa masse, source de toute culture vivante » — ne saurait y échapper. La culture serait l’élément moteur de la société puisqu’elle peut s’y étendre à tous les niveaux."
Lieu de la conférence : Buvette (rdc BU)
Le port du masque reste recommandé
Retrouvez l'ensemble des œuvres de l'auteur de Compère Général Soleil > Jacques Stephen Alexis sur le catalogue des BU >> http://htl.li/Ba7E30skrz5
Sur Manioc découvrez une conférence intitulée
- Du "Réalisme merveilleux" de Jacques S. Alexis aux polars vaudou de Gary Victor : entre résurgences et transformations (Université des Antilles, 2015) >> http://www.manioc.org/fichiers/V15203
Sur les rayonnages du la BU Schoelcher à l'Espace Caraïbe
C'est à Paris, où il réside de 1946 à 1954 que Jacques Stéphen Alexis écrit ce premier roman qui apparaît comme le prolongement mais aussi la clôture de l'espoir entrouvert par Gouverneur de la Rosée de Jacques Roumain. S'appuyant sur un événement historique épouvantable -le massacre des travailleurs haïtiens de la canne, en 1937, en République Dominicaine- il raconte comment cet événement s'inscrit dans la logique des dictatures fascistes, et plus largement dans celle qu'entraîne la perte de toute dignité quand l'exploitation des hommes ne connaît plus de limites.
Les pins se balancent haut dans le ciel. Ils sifflent à perdre haleine et jettent leur mélodie sombre dans le grand jour qui rayonne sur la forêt. Gonaïbo et Harmonise, la main dans la main, s'en vont parmi les arbres, empoignés par la vaste voix des conifères. Ils courent et s'emplissent au passage les mains de fraises des bois et de mûres juteuses. Ivres, ils s'enfoncent au plus épais de la forêt. Soudain ils s'arrêtent écrasés par la merveille qui s'offre à leurs yeux. Devant eux s'étend une véritable muraille d'orchidées sauvages, une tapisserie aux cent couleurs. Il y en a de toutes teintes, de toutes formes, les unes plus précieuses que les autres, unies, tigrées, avec des volutes d'étamines, des pétales ourlés, spatulés, frisés, des yeux bridés et souriants, des bouches rouges et bées, des dents ivoirines.
Il est là-bas, en Haïti, une misérable petite île où le soir, à la veillée, les "composes" et tireurs de contes joutent de verve sous les yeux écarquillés des enfants, sous les prunelles fatiguées mais radieuses des adultes. Ils chantent des rêves et des merveilles. C'est le neveu et disciple du Prince des "composes", l'élève conteur, l'écrivain lui-même, qui a voulu nous dire ces histoires. Tout au long de ce Romancero aux étoiles pourtant, deux Sambas, deux conteurs, l'auteur et son maître le Vieux Vent Caraïbe, rivalisent d'invention en s'inspirant des contes de la tradition, de la légende du temps des grands Caciques - quand corossols, pommes-cajou, abricots fructifiaient pour tous -, du mythe de la Reine Anacaona (Dit de la Fleur d'Or), des fables de Bouqui et de Malice, pour arriver à la nouvelle moderne à quoi s'essaie Alexis, en bon élève ayant profité des leçons de la tradition orale. Véridiques et belles histoires ! Celle du Sous-lieutenant enchanté, Wheelbarrow, qu'une femme à la tumultueuse chevelure noire ensorcela ; celle de l'étincelante Chronique d'un Faux-Amour, véritable petit roman dans une pure veine fantastique, qui cède la parole à la plus jolie fiancée transformée en "zombie" au jour de ses noces. Poésie parlée, fantaisie surnaturelle, humour insolite à géométrie variable et en trompe-l'oeil dans Le Roi des Songes, où la Trans-Dreaming-Air-Lines nous emporte vers une divine utopie... Il s'agit avant tout, pour notre émerveillement, d'empêcher que les anciens récits ne soient oubliés, mais il s'agit aussi d'ajouter au patrimoine de nouvelles histoires, d'explorer de nouvelles voies qu'Alexis, dès 1960, tente pour la dernière fois de déchiffrer, mariant le réel au fantastique où l'art de jadis et de toujours s'adapte en souplesse à la réalité la plus moderne, celle de la Caraïbe d'aujourd'hui.
À Port-au-Prince, La Niña Estrellita, ravissante mulâtresse de vingt-six ans et prostituée, est la vedette du Sensation Bar. Un jour, elle y rencontre El Caucho, magnifique géant courageux et droit, mulâtre comme elle. C'est un mécanicien syndiqué et progressiste. El Caucho et La Nina deviennent amoureux l'un de l'autre au premier regard. Cet amour révélera La Nina à elle-même, ainsi que le mystère de ces deux êtres, celui de leur enfance commune à Cuba. En effet, ils sont tous deux originaires du même petit village de cette île. Ils décident de vivre ensemble ... l'espace d'un cillement... et cette histoire, à laquelle s'entrelacent plusieurs thèmes, s'achève sur la fuite de La Nina, éperdue, terrorisée par la responsabilité nouvelle et l'ignorance de sa propre vérité.
À travers le prisme coloré de cette aventure individuelle, le grand écrivain haïtien Jacques Stephen Alexis évoque aussi les drames de toute la Caraïbe.
The first novel of the Haitian novelist Jacques Stephen Alexis, General Sun, My Brother appears here for the first time in English. Its depiction of the nightmarish journey of the unskilled laborer Hilarion and his wife from the slums of Port-au-Prince to the cane fields of the Dominican Republic has brought comparisons to the work of Emile Zola, André Malraux, Richard Wright, and Ernest Hemingway.
Premier roman du romancier haïtien Jacques Stephen Alexis, Général Soleil, mon frère paraît ici pour la première fois en anglais. Sa description du voyage cauchemardesque d'Hilarion, un ouvrier non qualifié, et de sa femme, des bidonvilles de Port-au-Prince aux champs de canne à sucre de la République dominicaine, a suscité des comparaisons avec les œuvres d'Emile Zola, André Malraux, Richard Wright et Ernest Hemingway.
Bondissant sur ses jambes, l'Églantine va s'arc-bouter au grand mât et, aux lueurs fulgurantes, apparaît son visage diaboliquement radieux et ses grands yeux écarquillés. Les rires délirants de la mer et du ciel entourent sa joie vierge. » La Niña Estrellita, reine du Sensation Bar, héroïne sublime de l'Espace d'un cillement, a tourné le dos, sans roulement de hanches, à sa première vie, à son amour dévorant pour El Caucho. La revoilà Églantine, dans une pension à la quinzaine, en quête de rédemption. Célie, résidente des lieux, a du caractère et de belles perspectives : c'est dans le sel qu'il faut investir. Les deux associées de fortune affrètent un voilier, le Dieu-Premier, pour rejoindre la Grande-Saline. Mais c'est la tempête. Une tempête de tous les diables et de tous les dieux vaudous… Roman convulsif, secoué d'apocalypse, l'Étoile absinthe brûle d'une cohue d'images où les éléments, les sens, les visions, tout est exacerbé. Le voici tel qu'il nous est parvenu par miracle – inachevé : son auteur avait à faire ailleurs, dont il n'est pas revenu vivant. Il faut lire Jacques Stephen Alexis.
Jacques Stephen Alexis est certainement l’un des plus éminents écrivains d’Haïti et de la Caraïbe. Revenu en Haïti après un long périple à l’étranger en 1961, l’auteur de « Compère Général Soleil » et de « L’espace d’un cillement » est enlevé sur les ordres de François Duvalier et porté depuis lors disparu avec 4 de ses compagnons. Ce film montre les efforts pour retrouver ses traces et décrypter le mystère de sa disparition. En même temps, il nous porte à découvrir le révolutionnaire, le penseur, l’homme de science, le père aimant et l’immense écrivain. Un film de Arnold ANTONIN, Haïti, 2015.
Bonne conférence, bonne lecture !