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"ENA, pourquoi tant de haine ?"

Un documentaire sur cette grande école "qu'on adore détester"

Sur le site de la chaîne Public Sénat, la vignette illustrant le documentaire " ENA, pourquoi tant de haine ?" représente l’ancien président de la République (1974-1981) Valéry Giscard d’Estaing. Choix symbolique. Ancien élève de l’ENA -et de Polytechnique-, son septennat est présenté comme le point de départ funeste vers les sommets de « la technocratie » et de l’énarchie livrées à elles-mêmes, affranchies de toute limite vis-à-vis d’un pouvoir politique qu’elles auraient phagocyté pour mieux le manœuvrer. Premier ministre, ministres, conseillers : il est vrai que les gouvernements de VGE firent la part belle –plus qu’aucun avant eux, semble-t-il- aux anciens de l’école. Le septennat de F. Mitterrand confirma et amplifia la tendance avec, désormais, d’anciens énarques propulsés capitaines d’industrie. Mais former les futurs patrons du CAC 40, était-ce bien dans le rôle et dans la mission de l’ENA tels que définis à l’origine ? « Entre-soi, conformisme : au fil du temps quelque chose s’est grippé », raconte la narratrice.

En pleine polémique sur le devenir de ce vénérable établissement, ce documentaire honnête, s’appuyant sur force archives et témoignages, tombe à point nommé pour se forger une opinion éclairée, ne serait-ce que par la vertu de ce rappel historique : si elle fut bien créée en 1945 par De Gaulle et Debré pour refonder une  haute fonction publique déchue dans la collaboration, c’est Jean Zay, ministre du Front Populaire entre 1936 et 1939, qui eut l’idée de cette école comme outil d’égalité et de promotion sociale, à une époque où l’accès à la fonction publique devait plus au piston et à l’entregent qu’au mérite républicain.

Certes « L’ENA n’a pas démérité » et il est juste de rappeler que les dérives reprochées à l’école ne sont le fait que d’une minorité pantouflarde : attirés par les salaires et les carrières du privé, certains délaissent le service de l’Etat que l’immense majorité des anciens élèves, hauts fonctionnaires besogneux, continue d’honorer dans le dévouement et l’anonymat.

Revoir les modalités du recrutement en le rendant plus ouvert, comme il est suggéré dans le film, suffirait-il à faire taire les critiques en légitimité ? Dans le cadre du débat lancé après l’annonce de la « fermeture » de l’ENA par E. Macron, certains observateurs ont esquissé dans la presse des pistes d’amélioration : elles prolongent utilement ce documentaire d'Emilie Lançon, réalisé en 2021.

Certains suggèrent ainsi d’exiger des futurs élèves, au titre des prérequis, des expériences de travail significatives dans le monde réel ;  ou encore,  une fois en poste, d'imposer aux impétrants le passage par un certain nombre d’étapes intermédiaires préparatoires (autrement dit : faire ses preuves) avant de leur confier les manettes supérieures de l'Etat. Dans ce concours Lépine de la réforme radicale et du rêve fou, Il en est même pour en appeler à une modification de l’enseignement dispensé à l’ENA afin de « le libérer du carcan du libéralisme économique *»…

 

Sur le sujet - articles en texte intégral dans Europresse  (abonnés UA)

  • «L’ENA paie un délit de sale gueule» regrettent de jeunes énarques, Le Figaro, 14 avril 2021
  • Le conformisme reproché à l'ENA sera décuplé dans l'Institut de service public, Le Figaro, 16 avril 2021
  • L'ENA, l'école mal aimée, Le Monde, 30 mars 2021
  • De nouveau, l'élysée veut supprimer l'ENA, L'Humanité, 9 avril 2021

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Prost, Antoine. « Les débuts difficiles de l’École nationale d’administration (1945-1958) », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, vol. 134, no. 2, 2017